Petit Papa Noël

Je vais vous parler dans ce billet de ma dernière lecture : Réveillon, de Pierre Mérot, paru chez Payot & Rivages en Mars 2017.

Et quand tu seras sur ton beau nuage / Viens d'abord sur notre maison

La veille de Noël, étrangement chaude, dans un immeuble cossu du quartier de Notre-Dame, divers personnages emblématiques (l’écrivain Vadim, le peintre Johannes, l'étudiant G., sex addict, et son pendant féminin, Callipyge, les trois sœurs Parker, vieilles hippies fortunées, Fifi, le critique littéraire…) évoluent dans un cadre magique propice à tous les rebondissements. En filigrane, ponctuant le récit, apparaissent les interrogations obsédantes de Vadim au sujet d'Eve, sa bien-aimée, qu’il envisage de quitter.
A travers une série pétillante de tableaux subtilement entrelacés qui composent une sorte de nouveau Vie mode d’emploi de notre temps, ce roman interroge la place de l’amour dans un monde en perdition. Il dresse aussi un tableau ironique des travers contemporains, avec un humour d'une rare causticité et une verve particulièrement mordante.

(Résumé tiré de la fiche sur le site de l'éditeur).

Réveillon est un roman que l'éditeur classe, de manière très précise, dans le genre "littérature française" ("roman français" pour Le Figaro), ce qui nous aide considérablement. Google, quant à lui, le liste en "fiction". Fichtre, nous voilà bien avancés. En se tournant vers Babelio, on apprend que les mots-clés "récits", "magique", "critique littéraire" et "peintre" y ont été associés. Ces mots sont justes, mais ne décrivent pas véritablement le type de livre auquel nous avons affaire.

Bref, de quoi s'agit-il ?

Il est correct de parler de fiction, mais cela serait terriblement réducteur. Les tableaux dont parle le résumé se déroulent dans le quartier Saint-Michel à Paris, quasiment au niveau de la librairie Shakespeare and Company, sur le quai de la Seine. Les lieux décrits, les rues, sont bien réels. Les personnages, tels Vadim, Johannes, G., Fifi... bien qu'imaginaires (quoique... connaissant l'auteur, il y a sans doute une part bien réelle) sont décrits de manière très réaliste, et on croit en ces personnages tous plus vrais que nature. En revanche, le cadre de l'histoire penche progressivement dans le fantastique : le début semble classique, presque anodin, avec Vadim et ses questionnements amoureux, et des hallucinations ou imaginations prémonitoires du reste du livre.

L'arrivée d'un mystérieux nuage fait progressivement glisser le récit (et les personnages) vers une folie fiévreuse, comme si la chaleur faisait décanter ou distillerait les peurs, les désirs ou les frustrations des différents protagonistes. Cette fièvre liée au nuage et à la chaleur anormale transpire dans le récit, et les chapitres et les actions des personnages escaladent pour atteindre des dimensions bibliques.

Globalement, donc, il s'agit de fantastique, mais en même temps, j'aime beaucoup le contraste avec le style, que je qualifierai de réaliste, employé par P. Mérot : c'est un miroir de nous-mêmes, il nous décrit de la manière la plus impitoyable, et donc de la manière la plus cruelle. Quand les situations sont poétiques, quand Vadim s'interroge sur l'amour, on se sent amoureux, et (personnellement) on pense comme Vadim à celle(s) que l'on a connue(s) ou que l'ont connait et aux choix que l'on a faits ; quand les situations sont sordides ou malsaines, on sent mal à l'aise, parce que tout en sachant que c'est fictif, on se dit que quand même, ça n'est pas impossible.

De même que lorsque je parlais de la nouvelle Jugez le Livre et le Livre Vous Jugera, je me dois de signaler que je connais l'auteur, car nous avons été collègues, enseignants dans le même lycée. Contrairement à probablement tous mes anciens collègues, je n'avais alors pas eu l'occasion de lire un de ses livres, et c'est logiquement par la fin que j'ai commencé.

Mon avis : j'ai beaucoup aimé. C'est coloré, c'est fiévreux, c'est un peu sale dans les coins, c'est diablement humain. Je l'ai lu en deux soirées et deux trajets de RER (alors que d'habitude je me contente de musique, c'est dire).

Mon chapitre préféré, sans conteste, est le chapitre 53 ("Les pensées de la Nuit (intermède agaçant)"). Petit morceau choisi (parce que j'ai la flemme de recopier une page entière) :

La Nuit existe, donc. Et d'ailleurs, elle pense. Et ce jour-là, un 24 décembre (un 24 décembre, Seigneur !), bloquée inexplicablement aux abords de Paris, quelque part au dessus de l'autoroute A1 ou des embouteillages du périphérique, elle pensait, lasse et énervée : « Putain de ville de merde ! »

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